Chattaya, itinéraire d’un ladyboy
CYRIL NAMIECH
Parution : 2008
Edition : Bamboo Sinfonia
197 pages
Taille : 190 x 130 mm.
ISBN 9789740635277
* * *
Quatrième de couverture :
La belle Chattaya nous raconte son itinéraire de
ladyboy globe-trotter, depuis son petit village du nord de la Thaïlande jusqu’aux
nuits du bois de Boulogne. Elle en a vu du pays ! Elle en a mangé des
kilomètres de...
À douze ans,
encore petit garçon, Chattaya quitte ses rizières pour une école de boxe thaïe
de Bangkok. Elle en pince pour ses camarades de ring et affectionne
particulièrement les corps-à-corps. C’est décidé : elle deviendra femme
pour se faire aimer des hommes. Cures d’hormones et relookages dessinent la
nouvelle Chattaya. Alors que ses seins commencent à faire désordre sur les
rings, elle s’envole pour Hong Kong. Elle parachève sa métamorphose et monnaie
ses charmes dans la baie, de sampan en cargo. Elle a la vocation : donneuse de
bonheur, elle fait le plus beau métier du monde. On l’aime, Chattaya ! Mais la
voilà partie avec un vieux monsieur Jules aux Baléares. Dame de compagnie, elle
dore au soleil et écume les discothèques. Elle rencontre un jeune Jérôme éperdu
et le suit dans sa banlieue parisienne. Le bois de Boulogne n’est pas loin. Et
c’est de sa camionnette aménagée que Chattaya nous livre sa vie... Toc
toc ! « Oui, chéri ? – C’est combien, le bonheur ? »
Après avoir écumé toutes les places chaudes d’Asie du
Sud-est, Cyril Namiech s’est refait une « virginité » dans un petit
temple bouddhiste situé au nord de la Thaïlande.
De l’amour et du rêve plein les cales, il navigue aujourd’hui
entre Paris et Bangkok.
* * *
Chattaya, itinéraire d’un ladyboy
- Exergue :
Parce
qu’il a le visage du soleil,
ton
cul est yang,
sans
coup férir j’y mets la langue,
ton
cul est frère de l’arc-en-ciel,
gardien
des coulées éternelles,
sphinx,
terre et rose érogènes,
ton
cul est mon bol d’oxygène.
Arthur
- Extrait 1 :
Le client
s’appelle André. Son visage me rappelle celui du joueur de tennis espagnol que
j’ai réconforté l’an passé à la suite de son élimination en quart de finale du
tournoi de Roland Garros. André, quand il a su que j’étais thaïlandaise, s’est
aussitôt précipité dans la camionnette. Séance tenante, il m’a supplié de
l’insulter en thaï. « Bien, comme toi vouloir ! » Alors, je l’ai
incendié avec « yet mê ! yet pô ! yet pi ! yet nong ! »,
un peu comme si j’enculais toute sa famille. André m’a dit merci, merci, merci,
merci et encore merci. Ensuite, il m’a parlé de sa fiancée thaïlandaise qu’il a
rencontrée dans un salon de massage de Bangkok qui, comme tous les salons de
massage de Thaïlande, fait aussi agence matrimoniale. André souhaite faire
venir sa bien-aimée à Paris. Il aimerait construire
quelque chose avec elle. Il m’a
demandé ce que j’en pensais. Je lui ai dit qu’elle et lui avaient bien de la chance. Et que s’ils
avaient des enfants ensemble, ceux-ci feraient de jolis métisses. André m’a
alors serrée dans ses bras, m’a lancé un vibrant je t’aime – en thaï, qui plus
est – et m’a un peu tripoté la
bite. J’ai pris cent euros.
- Extrait
2 :
La maîtresse d’école du village s’appelait
Madame Thongthanom. Elle avait une forte poitrine qui rendait jalouses les autres femmes. À l’heure des
exercices de calcul mental, je rêvais en secret de ses seins merveilleux, ne
cherchant nullement à savoir combien faisaient 3 x 5, ou même 3 + 4, mais
imaginant plutôt le tour de poitrine de mon institutrice – 95 ? 100 ?
110 ?
Maman, comme
toutes les mères du village, n’aimait pas tellement Madame Thongthanom. Elle
était convaincue que ma maîtresse, malgré les apparences évidentes, était en
réalité un homme. C’était à n’y rien comprendre. Avec des seins pareils, mon
institutrice ne pouvait être qu’une femme ; qu’on puisse en douter me
paraissait insensé. J’aurais aimé connaître l’avis de Papa sur le sujet, qu’il
me rassure une bonne fois pour toutes : « Ta maîtresse d’école est
une femme, mon fils, aussi sûr que le
ciel est bleu, que la Terre
tourne autour du soleil et que les chiens finissent dans la poêle à
frire ! » Mais Papa se foutait pas mal de mon institutrice et de ses
gros nichons, il préférait assécher les bouteilles de gnôle avec Oncle Daeng –
« kin lao sabaï ! » De
toute façon, tout ce qui touchait à l’école, de près ou de loin, ne
l’intéressait pas. Il n’est jamais venu me chercher après la classe. Quant aux
seins des femmes… Papa faisait-il encore seulement l’amour à Maman ?
- Extrait
3 :
Me faire masser les fesses par le vieil
intendant du camp me procurait toujours le même plaisir. Vibol, septuagénaire
au sourire édenté, expulsé du Cambodge
en 1977 par les vilains Khmers rouges, propriétaire d’un vélo et c’est
tout, cumulait les fonctions d’intendant, de masseur, de coiffeur, de maître
d’école et même d’arracheur de dent à l’intérieur du camp. Il pouvait également
enfiler la tunique de sorcier pour chasser les mauvais esprits.
L’incontournable personnage excellait dans l’art du massage. L’extrême fermeté
des ses pouces était appréciée de tous les boxeurs. Malgré son âge avancé,
Vibol entrait systématiquement en érection lorsqu’il nous massait, c’était plus
fort que lui, là, sous son pagne, ce morceau de viande qui devenait tout dur.
J’appréciais par-dessus tout que le vieil homme m’installe sur sa table de
travail à la manière d’un poulet qu’on s’apprête à vider. Il commençait toujours
la séance en baissant mon short comme font les médecins avant la piqûre. Allongé
sur le ventre, un léger appel d’air au niveau de l’anus, j’imaginais Vibol
plongeant sa main dans mon cul à la recherche du gros intestin. Le vieux
sorcier, tout sourire, la queue bien dure et les doigts couverts de pommade,
pétrissait sans relâche mes muscles fessiers afin d’en assouplir les tissus.
J’essayais parfois de faire sortir Vibol de ses gonds en bombant les fesses de
façon outrancière, qu’il m’encule une bonne fois pour toutes et n’en parlons
plus ! Tchan aurait-il apprécié que je le trompe avec un tel
personnage de bande dessinée ? Toujours est-il que le vieil intendant
du camp n’est jamais passé à l’acte. Voilà, c’est comme ça – des regrets ?
- Extrait
4 :
Le Danny’s Bar
nous ouvrit ses portes sur un air lancinant qui faisait thaï nana na na na na…
– C’est quoi,
cette musique ?
– C’est
français, m’apprit Tchan.
Des garçons en
slip blanc phosphorescent se trémoussaient sur une scène étroite, les mains
agrippées à une barre chromée, des thaï
nana na na na na comme des Malabar
plein la bouche. Ils
portaient un macaron épinglé au slip, sur lequel figurait un numéro à trois
chiffres. Il y avait l’embarras du choix. Le 134 paraissait bien jeune,
notai-je, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir de grosses couilles.
– Je te présente
mon cousin Keng, intervint Tchan.
Il avait
vraiment une sale gueule, le cousin, avec ses boutons purulents qui
bourgeonnaient en grappes un peu partout sur son visage. Je refoulai une
grimace d’écœurement – la famille, c’est
sacré. Le cousin Keng s’occupait de rabattre les clients à la porte du Danny’s
Bar : « Hello, sir, come inside please, sexy show, fucking show,
attractive young boys… » Je comprenais mieux pourquoi l’endroit était
quasiment désert : une gueule pareille à l’entrée ne mettait pas en
appétit. Il était pourtant minuit passé, l’heure idéale pour aller boire un
verre dans un bar de nuit. Les établissements voisins, eux, à en juger par les
cris d’hystérie qui s’en échappaient, affichaient complet. Des hurry up ! pleins de promesses et
des waouh ! d’ébahissement
éclataient aux oreilles du passant, qui s’arrêtait. Comment résister ?
Pour sûr, c’est là qu’il fallait être.
- Extrait
5 :
Le Boeing
faisait du yoyo dans le ciel chinois. L’hôtesse de la Thai Airways, un peu
trop laiteuse à mon goût – où était passé son caramel d’origine ? –,
vomissait des consignes de sécurité à l’oreille des passagers visiblement
déstabilisés par les sautes d’humeur de l’avion. « La ceinture !
ordonnait-elle. Attachez la ceinture ! » – Bon, si tu le dis. Il n’y
avait pourtant pas de quoi réveiller Bouddha, encore moins implorer le phallus
d’un saint, l’appareil n’allait pas s’abîmer en mer.
Je prenais
l’avion pour la première fois. Les gens du voyage, tout autour de moi, malgré
la peur grandissante qui les envahissait, avaient fière allure. Je prenais
plaisir à sourire à tous ces hommes d’affaires costumés façon footballeurs
italiens au sortir du stade, à tous ces propriétaires de Mercedes Benz lestés de
bracelets en or à 24 carats, à tous ces princes de l’import-export porteurs de
bretelles Mickey qui, tout comme moi, occupaient le compartiment première
classe au devant de l’avion. Alors, ma
fille, heureuse ?
– Terre !
Terre !
Le Boeing
amorçait sa descente vers Hong Kong. Sous nos pieds, au milieu du bleu, des
navires marchands s’essayaient à la géométrie, traçant ici et là des lignes
blanches à la règle. J’aperçus enfin les premiers gratte-ciel du territoire de la Couronne britannique. Une
chance pour les passagers, l’avion n’était pas chatouilleux ; il surfait
sur le toit des immeubles en conservant une trajectoire rectiligne, sans le
moindre soubresaut. Un vent chaud vint caresser mes couilles : je venais
de péter sous ma jupe. Mon voisin remercia Jésus.
- Extrait
6 :
Mitchum venait
d’éjaculer dans ma bouche – j’avale tout. La mamasang, en bonne maîtresse de maison, disait que le foutre était
bon pour la peau et que, ingurgité régulièrement, il retardait la venue des
rides. Malgré ça, certaines filles ne s’étaient toujours pas faites à
l’ingestion de sperme. Etouffant leur haut-le-cœur avec professionnalisme,
elles recrachaient discrètement la semence des hommes dans un mouchoir en
papier puis reprenaient leur flagornerie habituelle envers le client :
« You number one. »
- Extrait
7 :
Dix minutes de
jeu, toujours aucun but. À le voir éprouver de plus en plus de difficultés à
marcher, j’avais suggéré à mon homme, en ce soir de finale, d’aller emprunter
un fauteuil roulant à la pharmacie de garde. L’octogénaire s’était aussitôt
fâché, allant jusqu’à me menacer de me renvoyer en Thaïlande par le prochain
avion. Que n’avais-je pas dit là ! Dans le ciel, justement, un
appareil de la compagnie allemande Lufthansa s’apprêtait à atterrir sur le sol
de Majorque. J’avais alors saisi au vol l’opportunité de détendre un peu
l’atmosphère : « Beaucoup Allemands venir prendre soleil à
Majorque. » Ca’n Pastilla, station balnéaire où Monsieur Jules résidait
depuis déjà dix ans, était située à seulement trois kilomètres de l’aéroport.
Ainsi, en optant pour ce lieu de villégiature, les retraités désireux de passer
quelques mois au soleil avaient la garantie de ne jamais faire plus de dix
minutes de taxi. Et puis, l’avantage de loger à proximité d’un aéroport permet
à un retraité d’exercer sa vue à l’approche des avions, et plus encore quand ce
même retraité dispose d’un balcon avec panorama sur les gros nichons des femmes
hollandaises, mais dans ce cas précis il s’agit d’un tout autre exercice.
Revenons donc à nos avions en approche dans le ciel de Ca’n
Pastilla :
– Toi lire quoi,
Monsieur Jules ?
–
Lufthansa !
– Et avion
derrière, toi lire quoi ?
–
Luft…Lufthansa !
– Et autre
avion, tout au fond ?
– Lu…Lutf…
Lufthansa !
Il me tardait de
devenir vieille et qu’un jeune garçon, à la vue d’un avion en approche dans le
ciel de Bangkok, me demande : « Toi lire quoi, Madame
Chattaya ? » Alors, les yeux fermés, je répondrais :
« Lufthansa, mon chéri ! »
- Extrait
8 :
J’ai toujours pensé que les Français parfumaient leurs cabinets
d’aisance avec du N°5. En débarquant à l’aéroport de Roissy, le temps que mes
valises me soient livrées, je m’étais rendue aux toilettes de la salle
d’arrivée. Étrangement ça ne sentait pas le Chanel ; les chiottes
empestaient la merde. Les
parois de la cabine dans laquelle je m’étais enfermée étaient couvertes de
graffiti. Je savais les Français très attachés à la libre expression
artistique. Mais de là à inscrire avec de la merde des CHIRAC MAGOUILLE, AIR FRANCE COMPLICE et autres PARIS ON T’ENCULE sur les murs
des chiottes, il y avait un réel décalage avec tout ce que j’avais pu lire sur la France, ce pays qu’on
associait toujours au bon goût, à l’élégance et au romantisme. Je constatai
aussi qu’il n’y avait rien pour nettoyer mes fesses. Pas même un vulgaire
rouleau de papier recyclé – vous savez,
celui qui arrache le cul façon papier de verre mais dont tout le monde, en
Occident, se plaît à vanter les vertus écologiques. Les défenseurs de la nature
devraient s’inspirer de la façon de faire des Asiatiques : se rincer le
cul à l’eau. C’est tellement naturel ! On parlerait alors beaucoup moins
de la disparition des forêts sur notre planète. Quand on imagine tous les
arbres qu’il faut abattre pour torcher le cul de tout ce petit monde !
Pour ce qui était des toilettes de l’aéroport, le débat sur le pillage des
forêts n’avait pas lieu d’être : il n’y avait pas de papier. Moi qui
pensais que les Français estimaient assez leurs organes génitaux pour leur
consacrer des accessoires de toilettes spécifiques tels que des
distributeurs automatiques de lingettes parfumées ou des bidets à jets
multiples pour les ablutions intimes ! Alors, c’était ça, le chic parisien, des murs couverts de caca ! – Merde
alors ! Il y avait bel et
bien tromperie sur la marchandise ; la France n’était pas aussi glamour qu’on le disait.
- Extrait 9 :
– Quand j’te
suce, Chattaya d’amour, c’est comme si je suçais la bite d’une étoile de mer.
Sauf que l’étoile de mer elle bande pas aussi dur que toi. T’entends ça,
Commandant !…
René a une seule
et unique passion dans la vie : le Commandant Cousteau. Il lui voue un
culte sans limites. Après m’avoir
goulûment sucé la bite, René m’a offert un livre dédicacé par le Commandant en
personne : Les pharaons de la mer. A chacun sa mascotte, son idole, son super héros. Moi,
c’est Michel, René, André, Arthur, Omar, Philippe, Fernand, Avi, Jean-Pierre,
Marcel, Maurice, Charles-Ernest, Claudio, Cyril, Maxime, Roger, Karl-Heinz,
Georges, Hugo, Daniel et tous les autres qui sont passés, passent ou passeront
un jour ou l’autre dans ma camionnette. Ils sont tous Superman.
-
Extrait 10 :
– Tu sais,
Chattaya, j’en ai presque terminé avec ton histoire, ta merveilleuse histoire.
Par contre, il me manque toujours un titre. J’ai pensé à Total sourire. Tu aimes ?
– C’est bien.
– Sinon, j’avais
pensé à… Chattaya, plus forte que Mary
Poppins.
– C’est bien.
– Ou
alors : Robinet d’amour.
– C’est bien.
– Ou même :
Itinéraire d’un enfant des rizières.
– C’est bien.
–
Je t’envie, Chattaya. Avec toi, tout est bien. Je ne t’ai
d’ailleurs jamais entendu te plaindre. Comment fais-tu ?
–
Chattaya solide comme une pierre…
–
Comme une pierre, dis-tu ? Alors comme une pierre à
odeur humaine. Une pierre taillée pour sourire… Sais-tu qu’il arrive parfois
aux pierres de saigner ?…
–
Chattaya laisser couler…
–
Le plus impressionnant est que tu ne promènes pas de regard
méprisant sur le monde…
–
Chattaya thaïlandaise. Chattaya petit corps. Chattaya plus
légère que vous Européens. Chattaya pas s’enfoncer dans vie. Chattaya
s’attacher moins aux choses…
–
Tu es divine, Chattaya. Je t’adore.
– Chattaya a une grosse quéquette, c’est
bon titre ça ?
Ophélie sourit.
Je l’aime.
–
Ton visage est toujours inondé de soleil, Chattaya, même à
Paris, sous les nuages.
–
Chattaya manger beaucoup bananes. Et bananes c’est beaucoup
soleil.
–
Unique tu es.
–
Toi dans mon cœur, Ophélie.
–
Et Ficus Religiosa,
tu aimes ?
–
Chattaya pas comprendre mais sonner très joli dans oreille.
–
Adelphale ?
–
Sonner comme cheval, c’est bien ça.
–
Epuranienne ?
–
C’est comme terrienne ?
–
Ou alors : Juste
quelqu’un de bien.
–
Ç’est chanson ça ?
–
L’histoire n’en
dira guère plus long sur la taille de son sexe… voilà comment
je compte conclure mon reportage sur Chattaya.
Du même auteur : Thaïlande guili-guili aux
Editions Gope (à paraître en janvier 2013).
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