samedi 27 octobre 2012



Chattaya, itinéraire d’un ladyboy

CYRIL NAMIECH


Parution : 2008
Edition : Bamboo Sinfonia
197 pages
Taille : 190 x 130 mm.
ISBN 9789740635277

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Quatrième de couverture :

La belle Chattaya nous raconte son itinéraire de ladyboy globe-trotter, depuis son petit village du nord de la Thaïlande jusqu’aux nuits du bois de Boulogne. Elle en a vu du pays ! Elle en a mangé des kilomètres de...
 À douze ans, encore petit garçon, Chattaya quitte ses rizières pour une école de boxe thaïe de Bangkok. Elle en pince pour ses camarades de ring et affectionne particulièrement les corps-à-corps. C’est décidé : elle deviendra femme pour se faire aimer des hommes. Cures d’hormones et relookages dessinent la nouvelle Chattaya. Alors que ses seins commencent à faire désordre sur les rings, elle s’envole pour Hong Kong. Elle parachève sa métamorphose et monnaie ses charmes dans la baie, de sampan en cargo. Elle a la vocation : donneuse de bonheur, elle fait le plus beau métier du monde. On l’aime, Chattaya ! Mais la voilà partie avec un vieux monsieur Jules aux Baléares. Dame de compagnie, elle dore au soleil et écume les discothèques. Elle rencontre un jeune Jérôme éperdu et le suit dans sa banlieue parisienne. Le bois de Boulogne n’est pas loin. Et c’est de sa camionnette aménagée que Chattaya nous livre sa vie... Toc toc ! « Oui, chéri ? – C’est combien, le bonheur ? »

Après avoir écumé toutes les places chaudes d’Asie du Sud-est, Cyril Namiech s’est refait une « virginité » dans un petit temple bouddhiste situé au nord de la Thaïlande. De l’amour et du rêve plein les cales, il navigue aujourd’hui entre Paris et Bangkok.

* * *
 
Chattaya, itinéraire d’un ladyboy

- Exergue :

Parce qu’il a le visage du soleil,
ton cul est yang,
sans coup férir j’y mets la langue,
ton cul est frère de l’arc-en-ciel,
gardien des coulées éternelles,
sphinx, terre et rose érogènes,
ton cul est mon bol d’oxygène.

                                              Arthur
 
- Extrait 1 :

Le client s’appelle André. Son visage me rappelle celui du joueur de tennis espagnol que j’ai réconforté l’an passé à la suite de son élimination en quart de finale du tournoi de Roland Garros. André, quand il a su que j’étais thaïlandaise, s’est aussitôt précipité dans la camionnette. Séance tenante, il m’a supplié de l’insulter en thaï. « Bien, comme toi vouloir ! » Alors, je l’ai incendié avec « yet mê ! yet pô ! yet pi ! yet nong ! », un peu comme si j’enculais toute sa famille. André m’a dit merci, merci, merci, merci et encore merci. Ensuite, il m’a parlé de sa fiancée thaïlandaise qu’il a rencontrée dans un salon de massage de Bangkok qui, comme tous les salons de massage de Thaïlande, fait aussi agence matrimoniale. André souhaite faire venir sa bien-aimée à Paris. Il aimerait construire quelque chose avec elle. Il m’a demandé ce que j’en pensais. Je lui ai dit qu’elle et lui avaient bien de la chance. Et que s’ils avaient des enfants ensemble, ceux-ci feraient de jolis métisses. André m’a alors serrée dans ses bras, m’a lancé un vibrant je t’aime – en thaï, qui plus est – et m’a un peu tripoté la bite. J’ai pris cent euros.


- Extrait 2 :

La  maîtresse d’école du village s’appelait Madame Thongthanom. Elle avait une forte poitrine qui rendait  jalouses les autres femmes. À l’heure des exercices de calcul mental, je rêvais en secret de ses seins merveilleux, ne cherchant nullement à savoir combien faisaient 3 x 5, ou même 3 + 4, mais imaginant plutôt le tour de poitrine de mon institutrice – 95 ? 100 ? 110 ?
Maman, comme toutes les mères du village, n’aimait pas tellement Madame Thongthanom. Elle était convaincue que ma maîtresse, malgré les apparences évidentes, était en réalité un homme. C’était à n’y rien comprendre. Avec des seins pareils, mon institutrice ne pouvait être qu’une femme ; qu’on puisse en douter me paraissait insensé. J’aurais aimé connaître l’avis de Papa sur le sujet, qu’il me rassure une bonne fois pour toutes : « Ta maîtresse d’école est une femme, mon fils, aussi   sûr que le ciel est bleu, que la Terre tourne autour du soleil et que les chiens finissent dans la poêle à frire ! » Mais Papa se foutait pas mal de mon institutrice et de ses gros nichons, il préférait assécher les bouteilles de gnôle avec Oncle Daeng – « kin lao sabaï ! » De toute façon, tout ce qui touchait à l’école, de près ou de loin, ne l’intéressait pas. Il n’est jamais venu me chercher après la classe. Quant aux seins des femmes… Papa faisait-il encore seulement l’amour à Maman ?


- Extrait 3 :

 Me faire masser les fesses par le vieil intendant du camp me procurait toujours le même plaisir. Vibol, septuagénaire au sourire édenté, expulsé du Cambodge  en 1977 par les vilains Khmers rouges, propriétaire d’un vélo et c’est tout, cumulait les fonctions d’intendant, de masseur, de coiffeur, de maître d’école et même d’arracheur de dent à l’intérieur du camp. Il pouvait également enfiler la tunique de sorcier pour chasser les mauvais esprits. L’incontournable personnage excellait dans l’art du massage. L’extrême fermeté des ses pouces était appréciée de tous les boxeurs. Malgré son âge avancé, Vibol entrait systématiquement en érection lorsqu’il nous massait, c’était plus fort que lui, là, sous son pagne, ce morceau de viande qui devenait tout dur. J’appréciais par-dessus tout que le vieil homme m’installe sur sa table de travail à la manière d’un poulet qu’on s’apprête à vider. Il commençait toujours la séance en baissant mon short comme font les médecins avant la piqûre. Allongé sur le ventre, un léger appel d’air au niveau de l’anus, j’imaginais Vibol plongeant sa main dans mon cul à la recherche du gros intestin. Le vieux sorcier, tout sourire, la queue bien dure et les doigts couverts de pommade, pétrissait sans relâche mes muscles fessiers afin d’en assouplir les tissus. J’essayais parfois de faire sortir Vibol de ses gonds en bombant les fesses de façon outrancière, qu’il m’encule une bonne fois pour toutes et n’en parlons plus ! Tchan aurait-il apprécié que je le trompe avec un tel personnage de bande dessinée ? Toujours est-il que le vieil intendant du camp n’est jamais passé à l’acte. Voilà, c’est comme ça – des regrets ?


- Extrait 4 :

Le Danny’s Bar nous ouvrit ses portes sur un air lancinant qui faisait thaï nana na na na na…
– C’est quoi, cette musique ?
– C’est français, m’apprit Tchan.
Des garçons en slip blanc phosphorescent se trémoussaient sur une scène étroite, les mains agrippées à une barre chromée, des thaï nana na na na na comme des Malabar plein la bouche. Ils portaient un macaron épinglé au slip, sur lequel figurait un numéro à trois chiffres. Il y avait l’embarras du choix. Le 134 paraissait bien jeune, notai-je, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir de grosses couilles.
– Je te présente mon cousin Keng, intervint Tchan.
Il avait vraiment une sale gueule, le cousin, avec ses boutons purulents qui bourgeonnaient en grappes un peu partout sur son visage. Je refoulai une grimace d’écœurement –  la famille, c’est sacré. Le cousin Keng s’occupait de rabattre les clients à la porte du Danny’s Bar : « Hello, sir, come inside please, sexy show, fucking show, attractive young boys… » Je comprenais mieux pourquoi l’endroit était quasiment désert : une gueule pareille à l’entrée ne mettait pas en appétit. Il était pourtant minuit passé, l’heure idéale pour aller boire un verre dans un bar de nuit. Les établissements voisins, eux, à en juger par les cris d’hystérie qui s’en échappaient, affichaient complet. Des hurry up ! pleins de promesses et des waouh ! d’ébahissement éclataient aux oreilles du passant, qui s’arrêtait. Comment résister ? Pour sûr, c’est là qu’il fallait être.


- Extrait 5 :

Le Boeing faisait du yoyo dans le ciel chinois. L’hôtesse de la Thai Airways, un peu trop laiteuse à mon goût – où était passé son caramel d’origine ? –, vomissait des consignes de sécurité à l’oreille des passagers visiblement déstabilisés par les sautes d’humeur de l’avion. « La ceinture ! ordonnait-elle. Attachez la ceinture ! » – Bon, si tu le dis. Il n’y avait pourtant pas de quoi réveiller Bouddha, encore moins implorer le phallus d’un saint, l’appareil n’allait pas s’abîmer en mer.
Je prenais l’avion pour la première fois. Les gens du voyage, tout autour de moi, malgré la peur grandissante qui les envahissait, avaient fière allure. Je prenais plaisir à sourire à tous ces hommes d’affaires costumés façon footballeurs italiens au sortir du stade, à tous ces propriétaires de Mercedes Benz lestés de bracelets en or à 24 carats, à tous ces princes de l’import-export porteurs de bretelles Mickey qui, tout comme moi, occupaient le compartiment première classe au devant de l’avion. Alors, ma fille, heureuse ?
– Terre ! Terre !
Le Boeing amorçait sa descente vers Hong Kong. Sous nos pieds, au milieu du bleu, des navires marchands s’essayaient à la géométrie, traçant ici et là des lignes blanches à la règle. J’aperçus enfin les premiers gratte-ciel du territoire de la Couronne britannique. Une chance pour les passagers, l’avion n’était pas chatouilleux ; il surfait sur le toit des immeubles en conservant une trajectoire rectiligne, sans le moindre soubresaut. Un vent chaud vint caresser mes couilles : je venais de péter sous ma jupe. Mon voisin remercia Jésus.    


- Extrait 6 :

Mitchum venait d’éjaculer dans ma bouche – j’avale tout. La mamasang, en bonne maîtresse de maison, disait que le foutre était bon pour la peau et que, ingurgité régulièrement, il retardait la venue des rides. Malgré ça, certaines filles ne s’étaient toujours pas faites à l’ingestion de sperme. Etouffant leur haut-le-cœur avec professionnalisme, elles recrachaient discrètement la semence des hommes dans un mouchoir en papier puis reprenaient leur flagornerie habituelle envers le client : « You number one. »


- Extrait 7 :

Dix minutes de jeu, toujours aucun but. À le voir éprouver de plus en plus de difficultés à marcher, j’avais suggéré à mon homme, en ce soir de finale, d’aller emprunter un fauteuil roulant à la pharmacie de garde. L’octogénaire s’était aussitôt fâché, allant jusqu’à me menacer de me renvoyer en Thaïlande par le prochain avion. Que n’avais-je pas dit là ! Dans le ciel, justement, un appareil de la compagnie allemande Lufthansa s’apprêtait à atterrir sur le sol de Majorque. J’avais alors saisi au vol l’opportunité de détendre un peu l’atmosphère : « Beaucoup Allemands venir prendre soleil à Majorque. » Ca’n Pastilla, station balnéaire où Monsieur Jules résidait depuis déjà dix ans, était située à seulement trois kilomètres de l’aéroport. Ainsi, en optant pour ce lieu de villégiature, les retraités désireux de passer quelques mois au soleil avaient la garantie de ne jamais faire plus de dix minutes de taxi. Et puis, l’avantage de loger à proximité d’un aéroport permet à un retraité d’exercer sa vue à l’approche des avions, et plus encore quand ce même retraité dispose d’un balcon avec panorama sur les gros nichons des femmes hollandaises, mais dans ce cas précis il s’agit d’un tout autre exercice. Revenons donc à nos avions en approche dans le ciel de Ca’n Pastilla :  
– Toi lire quoi, Monsieur Jules ?
– Lufthansa !
– Et avion derrière, toi lire quoi ?
– Luft…Lufthansa !
– Et autre avion, tout au fond ?
– Lu…Lutf… Lufthansa !
Il me tardait de devenir vieille et qu’un jeune garçon, à la vue d’un avion en approche dans le ciel de Bangkok, me demande : « Toi lire quoi, Madame Chattaya ? » Alors, les yeux fermés, je répondrais : « Lufthansa, mon chéri ! »  



- Extrait 8 :
  
J’ai toujours pensé que les Français parfumaient leurs cabinets d’aisance avec du N°5. En débarquant à l’aéroport de Roissy, le temps que mes valises me soient livrées, je m’étais rendue aux toilettes de la salle d’arrivée. Étrangement ça ne sentait pas le Chanel ; les chiottes empestaient la merde. Les parois de la cabine dans laquelle je m’étais enfermée étaient couvertes de graffiti. Je savais les Français très attachés à la libre expression artistique. Mais de là à inscrire avec de la merde des CHIRAC MAGOUILLE, AIR FRANCE COMPLICE et autres PARIS ON T’ENCULE sur les murs des chiottes, il y avait un réel décalage avec tout ce que j’avais pu lire sur la France, ce pays qu’on associait toujours au bon goût, à l’élégance et au romantisme. Je constatai aussi qu’il n’y avait rien pour nettoyer mes fesses. Pas même un vulgaire rouleau de papier  recyclé – vous savez, celui qui arrache le cul façon papier de verre mais dont tout le monde, en Occident, se plaît à vanter les vertus écologiques. Les défenseurs de la nature devraient s’inspirer de la façon de faire des Asiatiques : se rincer le cul à l’eau. C’est tellement naturel ! On parlerait alors beaucoup moins de la disparition des forêts sur notre planète. Quand on imagine tous les arbres qu’il faut abattre pour torcher le cul de tout ce petit monde ! Pour ce qui était des toilettes de l’aéroport, le débat sur le pillage des forêts n’avait pas lieu d’être : il n’y avait pas de papier. Moi qui pensais que les Français estimaient assez leurs organes génitaux pour leur consacrer des accessoires de toilettes spécifiques  tels que des distributeurs automatiques de lingettes parfumées ou des bidets à jets multiples pour les ablutions intimes ! Alors, c’était ça, le chic parisien, des murs couverts de caca ! – Merde alors ! Il y avait bel et bien tromperie sur la marchandise ; la France n’était pas aussi glamour qu’on le disait.


- Extrait 9 :

– Quand j’te suce, Chattaya d’amour, c’est comme si je suçais la bite d’une étoile de mer. Sauf que l’étoile de mer elle bande pas aussi dur que toi. T’entends ça, Commandant !…
René a une seule et unique passion dans la vie : le Commandant Cousteau. Il lui voue un culte sans limites.  Après m’avoir goulûment sucé la bite, René m’a offert un livre dédicacé par le Commandant en personne : Les pharaons de la mer. A chacun sa mascotte, son idole, son super héros. Moi, c’est Michel, René, André, Arthur, Omar, Philippe, Fernand, Avi, Jean-Pierre, Marcel, Maurice, Charles-Ernest, Claudio, Cyril, Maxime, Roger, Karl-Heinz, Georges, Hugo, Daniel et tous les autres qui sont passés, passent ou passeront un jour ou l’autre dans ma camionnette. Ils sont tous Superman.

 
- Extrait 10 :

– Tu sais, Chattaya, j’en ai presque terminé avec ton histoire, ta merveilleuse histoire. Par contre, il me manque toujours un titre. J’ai pensé à Total sourire. Tu aimes ?
– C’est bien.
– Sinon, j’avais pensé à… Chattaya, plus forte que Mary Poppins.
– C’est bien.
– Ou alors : Robinet d’amour.
– C’est bien.
– Ou même : Itinéraire d’un enfant des rizières.
– C’est bien.
       Je t’envie, Chattaya. Avec toi, tout est bien. Je ne t’ai d’ailleurs jamais entendu te plaindre. Comment fais-tu ?
       Chattaya solide comme une pierre…
       Comme une pierre, dis-tu ? Alors comme une pierre à odeur humaine. Une pierre taillée pour sourire… Sais-tu qu’il arrive parfois aux pierres de saigner ?…
      Chattaya laisser couler…
       Le plus impressionnant est que tu ne promènes pas de regard méprisant sur le monde…
       Chattaya thaïlandaise. Chattaya petit corps. Chattaya plus légère que vous Européens. Chattaya pas s’enfoncer dans vie. Chattaya s’attacher moins aux choses…
       Tu es divine, Chattaya. Je t’adore.
Chattaya a une grosse quéquette, c’est bon titre ça ?
Ophélie sourit. Je l’aime.
       Ton visage est toujours inondé de soleil, Chattaya, même à Paris, sous les nuages.
       Chattaya manger beaucoup bananes. Et bananes c’est beaucoup soleil.
       Unique tu es.
       Toi dans mon cœur, Ophélie.
       Et Ficus Religiosa, tu aimes ?
       Chattaya pas comprendre mais sonner très joli dans oreille.
       Adelphale ?
       Sonner comme cheval, c’est bien ça.
       Epuranienne ?
       C’est comme terrienne ?
       Ou alors : Juste quelqu’un de bien.
       Ç’est chanson ça ?
       L’histoire n’en dira guère plus long sur la taille de son sexe… voilà comment je compte conclure mon reportage sur Chattaya.


Du même auteur : Thaïlande guili-guili aux Editions Gope (à paraître en janvier 2013).
 


asie